All’Università di Tunisi il 20 aprile 2018
Attilio Mastino (avec la contribution de Salvatore Ganga)
Le futur du patrimoine : l’informatique et les nouvelles recherches sur l’épigraphie latine d’Afrique
Tunis, 20 avril 2018
La toute récente publication du volume de l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle intitulé Carthage, maîtresse de la Méditerranée, capitale de l’Afrique (Histoire & Monuments, 1), (IXe siècle avant J.-C. – XIIIe siècle). AMVPPC, SAIC Sassari, Tunis 2018, S. AOUNALLAH, A. MASTINO (dir.), a permis de faire la synthèse de la réflexion sur les rapports historiques entre l’Afrique du Nord et l’Europe pendant l’Antiquité en partant des phases préhistoriques et protohistoriques du monde berbère jusqu’à la colonisation phénicienne, à la fondation d’Utique et de Carthage, à la politique méditerranéenne documentée par les traité étrusco-carthaginois et romano-carthaginois et jusqu’à Annibal et les larmes un peu hypocrites de Scipion Emilien ; vingt ans après la refondation de Carthage voulue par Caïus Gracchus, puis par César et par Octavien, la nouvelle urbanisation. Dans le livre 1 de l’Enéide, Virgile décrit les bâtisseurs de la Carthage de Didon qui s’affairent comme des milliers d’abeilles dans une ruche au début de l’été pour produire le miel au parfum de thym. Virgile résume le thème des rapports méditerranéens du monde ancien dans l’épisode de la tempête racontée dans le livre 1 de l’Enéide : partis de Drépane en Sicile où Anchise a été enterré, les navires d’Enée en arrivant au îles Eoliennes au nord-est de Messine sont dispersés par les vents qu’Eole a déchaînés à la demande de Junon.
La tramontane (Aquilo) frappe la voile du navire d’Enée et soulève les flots jusqu’au ciel. Les rames se brisent et le navire offre le flanc aux vagues : il est désormais ingouvernable ; les vagues comme une montagne d’eau menacent la stabilité de quelques trirèmes tandis que les autres sont poussées vers les hauts-fonds où se forment des tourbillons de sable. Notus, le vent du Sud qui correspond à l’Auster, jette trois navires sur les écueils, ces saxa latentia que les Italiens appellent Arae, qui s’élèvent sur la mer de Libye comme un dos monstrueux. Eurus, vent du sud-est (donc le sirocco), pousse trois autres navires, les ensable sur les bas-fonds et les entoure à la proue et sur les flancs d’un mur de sable rendant ainsi la navigation impossible ; c’est précisément à Eurus qu’Enée attribue la responsabilité principale de la perte présumée de 13 des 20 navires. Une masse d’eau énorme frappe la poupe d’un septième navire, celui des Lyciens, conduit par Oronte ; le navire coule dans un tourbillon après avoir tourné trois fois sur lui-même ; à la fin ce sera le seul navire qui aura coulé. D’autres navires encore sont en difficulté car les vagues provoquent de gros trous sur les flancs ouvrant de dangereuses voies d’eau ; certains sont jetés par les austers (encore Notus) in vada caeca …./…. perque invia saxa, même si les Enéades réussissent ensuite à toucher terre.
Il existe un débat à propos de la position de la flotte d’Enée au cours de la tempête et à propos de la durée de la navigation d’abord vers l’Ausonie (le Latium habité par les Silvii et puis par les Latins) et ensuite vers la Carthage de Didon : Servius assimilait les Arae du v. 109 aux Arae Neptuniae ou Propitiae, écueils entre l’Afrique, la Sicile, la Sardaigne et l’Italie ; l’un des traités entre Rome et Carthage (peut-être celui de 234 av. J.-C. : ibi Afri et Romani foedus inierunt et fines imperii sui illic esse voluerunt) aurait été stipulé sur ces écueils (restes d’une île plus vaste submergée) choisis pour indiquer la limite entre l’empire romain et la zone sous le contrôle des Carthaginois. Il s’agirait de l’écueil Keith du grand banc tunisien des Esquerquis où les fonds sableux atteignent 4 mètres de profondeur et où même les bateaux à faible tirant d’eau, comme devaient l’être les trirèmes imaginées par Virgile, ont certainement de grosses difficultés à naviguer lorsque la mer est en furie, à cause des forts courants. Quelques Troyens auraient atteint la Sardaigne alors qu’Enée aurait navigué vers le Sud atteignant Carthage en construction (où il aurait connu la Reine phénicienne Didon) :
Urbs antiqua fuit, Tyrii tenuere coloni,
Karthago, Italiam contra Tiberinaque longe
ostia, diues opum studiisque asperrima belli.
Jadis il y avait une ville, ancienne colonie tyrienne, Carthage, face à l’Italie et aux lointaines bouches du Tibre, elle était riche et âprement passionnée pour la guerre.
Aujourd’hui encore, ici à Tunis, nous devons partir de l’image des bâtisseurs de Carthage, sur la colline de Byrsa, les architectes de la reine Didon que Virgile nous montre alors qu’ils s’affairent et travaillent à la construction de la colonie phénicienne, avec ses remparts, ses tours, ses temples. Bien évidemment, Virgile pense à la colonie d’Auguste qui, lorsqu’il écrit l’Enéide, se dresse comme une grande capitale méditerranéenne, riche de produits provenant du vaste arrière-pays numide. Dans l’ardeur des structores Tyrii de Carthago, Enée fuyant Troie est à la fois hospes, accueilli avec respect par la Reine, et ensuite hostis, maudit pendant des générations : il observe, avec les yeux de Virgile, le sillon de la charrue qui marque la limite sacrée d’une colonie, renouvelant la douleur et l’espoir de ceux qui construisent une nouvelle ville alors que sa patrie d’origine – Ilio – est détruite par les flammes. Dans le récit de la Carthage naissante, Virgile pense certainement à l’expérience urbanistique de la période d’Auguste en Afrique, avec le theatrum aux immanes columnae de la frons scaenae extraites des carrières dans lesquelles des ouvriers spécialisés travaillent inlassablement pour extraire les pierres pour la nouvelle ville. Ou encore avec les portae des remparts et les strata viarum, les viae urbaines silice stratae ; la basilique judiciaire ; le théâtre. Les vers de Virgile exaltent l’activité des hommes de bonne volonté, même si les dieux et les déesses sont eux aussi, à tous les effets, considérés comme impliqués dans un studium et dans un ars qui élève celui qui le pratique. De façon plus générale, Virgile trouve les mots pour représenter le paysage transformé par l’homme au bord du lac de Tunis, près du temple de Junon érigé par la reine, là où avait eu lieu la découverte magique, annoncée par l’oracle, du crâne d’un cheval. D’ailleurs, comment oublier l’hyperbole virgilienne de Mélibée déjà dans la première Eglogue At nos hinc alii sitientes ibimus Afros ?
I 365-9: Les fugitifs parvinrent en ces lieux, où tu vois maintenant d’immenses remparts et la citadelle naissante de la jeune Carthage, qui s’appelle Bursa du fait qu’ils ont acheté comme surface de terrain juste la quantité qu’ils pouvaient entourer avec la peau d’un taureau».
I, 420: Pendant ce temps, Enée et Achate marchaient rapidement le long du sentier. Et ils étaient déjà au sommet d’une colline qui domine Carthage, en face du rocher qui se trouve plus bas.
Miratur molem Aeneas, magalia quondam,
miratur portas strepitumque et strata viarum.
Les Tyriens s’activent, pleins d’ardeur : les uns élèvent des murs, bâtissent la citadelle, roulant et hissant de leurs mains des blocs de pierres ; d’autres choisissent l’endroit de leur maison et l’entourent d’un sillon. Ils instaurent des lois, des magistrats et un sénat vénérable. Ici, des hommes creusent un port ; là, d’autres creusent les profondes fondations de théâtres et taillent dans le roc d’immenses colonnes, fiers décors pour les scènes à venir. On dirait des abeilles qui, à la naissance de l’été, s’activent à la tâche, dans les champs en fleurs, en plein soleil : elles font sortir leurs petits devenus adultess, elles entassent le miel liquoreux dans les alvéoles qui se gonflent de ce doux nectar, elles recueillent la récolte des ouvrières qui rentrent, ou, en colonne, écartent des ruches la gent paresseuse des frelons. La tâche se fait dans l’effervescence, et le miel fleure bon le thym.
« O fortunati, quorum iam moenia surgunt ! », « Qu’ils sont heureux, ceux dont les murs déjà s’élèvent ! », dit Énée en portant ses regards vers les toits de la ville.
Sur les deux rives de la Méditerranée, de nombreuses occasions se sont vérifiées de discuter et d’échanger des idées à propos d’une archéologie et d’une historiographie en mesure de pénétrer l’antiquité en dépassant la déformation idéologique de notre temps. Je souhaite rappeler ici les nombreuses grandes entreprises internationales actuellement en cours : le patronage de l’Unesco sur le site de Carthage du 16 octobre 1979 ; les colloques sur « L’Afrique Romaine », promus chaque année depuis 1983 par le Centre sur les provinces romaines de l’Université de Sassari, à Tunis, Carthage, Djerba et Tozeur, et dont le but est de comparer les expériences des archéologues, des historiens, des épigraphistes afin, à la fois, de découvrir quels sont les apports régionaux et nationaux au phénomène de la romanisation et de préciser les relations à l’intérieur d’une Méditerranée dynamique et ouverte. Le XXIème Congrès de l’Afrique Romaine se déroulera à Tunis du 6 au 9 décembre prochain sur le thème « L’épigraphie latine de l’Afrique du Nord : nouveautés, relecture, nouvelles synthèses ». Par une réflexion sur le rapport entre le centre et la périphérie nous souhaitons mettre en valeur les apports spécifiques des différentes provinces et indiquer, sur le plan culturel, artistique, religieux, linguistique, les articulations locales et la contribution de chaque zones. Sous cet aspect nouveau, l’Afrique devient une partie essentielle du bassin méditerranéen, zone côtière qui n’est pas isolée mais au contraire en rapport avec toute la profondeur du continent et qui trouve en la Méditerranée un espace de contact, de coopération et, pourrions-nous dire, d’intégration supranationale, une projection à travers laquelle nous voudrions construire un futur différent. Au-delà de l’histoire de Rome, qui privilégie une conception unitaire, nous continuerons à examiner le thème de la persistance indigène et de la contribution que les différentes réalités nationales et locales ont donné au processus de romanisation. Dan ce sens, l’étude de l’histoire des provinces africaines peut devenir un complément indispensable de l’Histoire Romaine traditionnelle vue exclusivement sous le profil institutionnel et organisationnel et considérée comme la reconstruction de ce courant qui provoqua un processus de nivellement en introduisant, même sur le plan culturel et social, des éléments unitaires romains. Notre propos est toujours celui de renverser l’horizon colonial qui poursuivait l’objectif romantique de parcourir à nouveau le chemin d’une civilisation perdue, de retrouver les racines de l’âme européenne de l’Afrique du Nord bouleversée par les Arabes, car dans la vision coloniale de la première moitié du siècle dernier, la civilisation classique en Afrique du Nord ne mourut pas d’une mort naturelle, mais fut assassinée par l’occupation arabe de Carthage en 698, lorsque le commandement byzantin fut déplacé à Karales en Sardaigne, probablement lors du transfert de la dépouille d’Augustin d’Hippone. Les découvertes archéologiques furent effectuées en Tunisie à la fin du XIXème siècle par les officiers de l’armée française d’occupation. D’ailleurs nous ressentons de plus en plus la nécessité de manifester concrètement notre respect pour les traditions culturelles et religieuses, pour la profondeur des différentes histoires et des différentes cultures, pour le patrimoine culturel, en sachant qu’il existe des variables géographiques et chronologiques lorsque ces différentes cultures se rencontrent et en cherchant de rester concrets et de plier la donnée scientifique à des schémas idéologiques. Contre les simplifications qui ne tiennent pas compte de la complexité de l’histoire.
La naissance de la Scuola archeologica italiana [Ecole archéologique italienne] à Carthage, créée à l’initiative de Antonio Di Vita et Andrea Carandini, est le résultat récent d’une synergie entre des Universités, des Instituts de recherches italiens (ISMA CNR) et internationaux (ICCROM) et des organisations tunisiennes : Adnan Louhichi, Directeur Général de l’Institut National du Patrimoine (INP) de Tunis, avait déjà appuyé une action conjointe avec l’objectif de présenter au monde les racines communes qui nous unissent en Méditerranée ; il avait suggéré de constituer une École Italienne de Carthage. En évoquant la situation sociopolitique de la Tunisie contemporaine, il avait souligné la nécessité de mettre en évidence, avec le soutien des Pays européens engagés dans la coopération, tout ce qui doit être protégé et valorisé dans la culture et dans l’histoire de ce Pays d’Afrique du Nord. Cette Ecole fut fortement voulue par le directeur général de l’INP, Nabil Kallala. La Société Scientifique Ecole Archéologique de Carthage a vu le jour le 22 février 2016 : au cours des mois suivants (alors que le directeur de l’INP était Fathi Bahri), différents sujets ont rejoint la Société, notamment des Universités italiennes et tunisiennes, d’autres Universités étrangères, des Institutions comme notamment l’Istituto di Studi sul Mediterraneo Antico [Institut d’Etudes sur Méditerranée Antiques] du CNR italien, l’Agence Nationale de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle de Tunis (directeur : Ridha Kacem), l’Institut National du Patrimoine de Tunis (dirigé aujourd’hui par Faouzi Mahfoudh), la Direzione Generale per Promozione del Sistema Paese, Settore «Archeologia» [Direction générale pour la Promotion du Système Pays, Secteur « Archéologie »] du Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale italien, l’Istituto Italiano di Cultura [Institut italien de Culture] de Tunis, l’Istituto di Studi e Programmi per il Mediterraneo [Institut d’Etudes et Programmes pour la Méditerranée, La Fondazione di Sardegna Fondation de Sardaigne]. En outre, des Musées, des Associations et des Institutions engagées dans la protection du Patrimoine archéologique méditerranéen, notamment de la Tunisie et du Maghreb, dans le domaine de la documentation, de la formation, de la conservation et de la valorisation du patrimoine historique et culturel.
L’Ecole Archéologique Italienne de Carthage. Documentation, Formation et Recherche s’est associée aux Universités italiennes qui, avec un cofinancement de la Direction Générale du Système Pays du MAECI (Secteur Archéologie), sont titulaires des grandes entreprises de recherche archéologiques, anthropologiques et ethnologique italo-tunisiennes ; elle pourra prochainement procéder à l’attribution de bourses à des chercheurs de pays étrangers. L’Ecole compte aujourd’hui 154 associés ; et nous prévoyons une croissance constante et un effort de coordination des campagnes archéologiques italo-tunisiennes en cours. En accord avec l’Institut italien de Culture, l’Ecole a promu à Tunis les deux Séminaires « Archeologia e tutela del patrimonio di Cartagine: lo stato dell’arte e le prospettive della collaborazione tuniso-italiana ». L’ambassadeur d’Italie, Raimondo Cardona, et la Directrice de l’Institut italien, Maria Vittoria Longhi, étaient présents aux deux Séminaires. La SAIC entend favoriser des formes de coordination entre des initiatives qui caractérisent la coopération italienne en Tunisie (et dans les Pays du Maghreb) dans le domaine scientifique et culturel. Elle souhaite également promouvoir une intervention en mesure d’offrir des opportunités de recherche, de formation et de diffusion des connaissances sur le Patrimoine relatif aux civilisations préhistoriques, préclassiques, classiques, anciennes tardives, islamiques, modernes ; mettre en valeur les apports de chaque initiative grâce à une coordination fonctionnelle ; contribuer attentivement au dialogue interculturel et aux politiques de développement de la Tunisie. La SAIC a pour objectif d’œuvrer en accord avec le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale et avec les Instituts italiens de culture, pour l’organisation et la coordination d’initiatives scientifiques, de documentation, de formation, de services et de divulgation. Dans ce but, la SAIC a signé des accords de coopération scientifique avec des institutions locales (tunisiennes, italiennes et d’autres Pays) qui s’occupent de l’enrichissement de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine culturel. L’Ecole se propose de promouvoir, par des accords avec des Universités italiennes et tunisiennes, des masters et des cours de spécialisation. Des bourses de doctorat pour étudiants tunisiens seront instituées. L’Ecole possède un site web (www.scuolacartagine.it), une page facebook (SAIC, scuola archeologica italiana di Cartagine), une revue électronique (“Caster”), une collection de monographies. Elle est présente sur les autres principaux réseaux sociaux, dans le but aussi de coordonner les activités archéologiques italiennes en Tunisie. Nous avons présenté à l’Agence Italienne pour la coopération le projet « Urbs antiqua » qui obtiendra en 2018 un financement important. Au cours de l’Assemblée qui s’est tenue le 12 mai 2016 à Rome à l’Istituto Nazionale di Studi Romani, en présence de l’ambassadeur de Tunisie, S. E. Naceur Mestiri, l’Ecole Archéologique Italienne de Carthage et l’Agence Nationale de Mise en Valeur et d’Exploitation du Patrimoine Culturel de la Tunisie, représentée par M. Samir Aounallah, ont signé une convention. Cette convention prévoit l’accord du professeur Ridha Kaabia, directeur de l’Agence, pour l’attribution sous forme de prêt à usage de salles et locaux de secrétariat pour la SAIC, avec des activités communes ; la convention a notamment permis la naissance de la Bibliothèque Sabatino Moscati.
Le Président de l’Université de Sassari, M. Massimo Carpinelli, et le Président de l’Ecole archéologique italienne de Carthage ont signé une convention-cadre dans le but de coordonner l’activité de formation, surtout à l’intérieur du Doctorat de recherche “Archéologie, histoire, sciences de l’homme”. Universités de la Tunisie et du Maghreb. Un accord avec l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis / Université de Tunis El Manar ISSHT (26, Avenue Darghouth Pacha – Tunis), dirigé par le professeur Raoufik Aloui, est en cours de stipulation.
Le 6 octobre dernier, nous avons inauguré à Tunis, à l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle, la Bibliothèque Sabatino Moscati, grâce à la donation faite par Laura et Paola Moscati, héritières de Sabatino Moscati, à l’Ecole de Carthage et à la Tunisie. Le 3 février 2017, le Directeur Général de l’AMVPCPC, le docteur Ridha Kacem, avait signé avec satisfaction une “Déclaration d’acceptation de la donation”, à savoir plus de 6000 volumes, pour créer une bibliothèque spécialisée en Archéologie, Sciences de l’Antiquité et Technologies appliquées aux Biens culturels, Histoire de l’Art. Au cours de sa remarquable carrière, Sabatino Moscati (Rome, 24 novembre 1922 – Rome, 8 septembre 1997) donna d’importantes contributions à l’histoire islamique et phénicienne (notamment en ce qui concerne l’expérience carthaginoise) ; il obtint plusieurs résultats importants, parmi lesquels l’enseignement à l’Université de Rome ‘La Sapienza’ et à l’Université de Rome ‘Tor Vergata’ (à partir des années 80), la longue vice-présidence de l’Istituto per l’Oriente, la présidence de l’Istituto per il Medio ed Estremo Oriente (1978-79), la présidence de l’Accademia Nazione dei Lincei (jusqu’en juin 1997), la direction de l’Enciclopedia Archeologica de l’Istituto dell’Enciclopedia Italiana, et la fondation de la revue Archeo (1985). En 1969, il fonda le Centro di Studio per la Civiltà Fenicia e Punica [Centre d’Etude pour la civilisation phénicienne et Punique] du CNR (de 1993 à 2002 : Istituto per la Civiltà Fenicia e Punica [Institut pour la Civilisation phénicienne et Punique]; aujourd’hui : Istituto di Studi sul Mediterraneo Antico [Institut d’Etudes sur la Méditerranée Ancienne]), précédemment lié à l’Istituto di Studi del Vicino Oriente [Institut d’Etudes du Proche-Orient] de l’Université romaine. Ce fut l’un des principaux promoteurs de la série d’expositions au Palazzo Grassi de Venise sur le thème de l’archéologie; rappelons notamment celle sur les Phéniciens de 1988. L’inauguration d’une bibliothèque est un événement important. Le Présidente de l’Université de Cagliari rappelait que la grande écrivaine française Marguerite Yourcenar faisait dire à l’Empereur Hadrien (Les Mémoires d’Hadrien, 1951) : « Fonder des bibliothèques, c’était encore construire des greniers publics, amasser des réserves contre un hiver de l’esprit qu’à certains signes, malgré moi, je vois venir ». Au-delà de ce pessimisme affecté – prophétique ex post – que l’écrivaine attribue à Hadrien, l’image est puissante et positive ; elle affirme que la culture est une nourriture essentielle pour l’esprit et la conscience. Par ailleurs, une initiative aussi méritoire que l’inauguration de la bibliothèque de l’Ecole Archéologique Italienne de Carthage, lieu de recherche et de formation avancées, trouve une parfaite correspondance dans le fait de lui avoir donné le nom d’un savant du niveau de Sabatino Moscati, qui domina dans la recherche archéologique et des antiquités, épigraphiques, philologique et linguistique ; il a légué aux spécialistes des ouvrages qui sont encore aujourd’hui des références scientifiques sûres et incontournables.
Rappelons aussi notre activité au sein du projet ForMed de la Fondation de Sardaigne-UniMed, l’Union des Universités de la Méditerranée, à présent présidé, après la disparition de Franco Rizzi, par l’ancien Président de l’Université de Tunis, Hmaid Ben Aziza (nommé il y a quelques jours à Paris) : la quasi-totalité de nos élèves maghrébins, une centaine environ, ont obtenu en Sardaigne leur “laurea magistrale” (=master). Parmi tous les thèmes de mémoires, signalons celui des rapports de l’Ifriqya arabe avec la Sardaigne des VIIe-XVe siècles ; le patrimoine culturel algérien pendant la période postcoloniale (protection et valorisation) ; enfin de Cirta à Constantine, une sélection de témoignages archéologiques et épigraphiques. Les Présidents des Universités de Tunis (Hmaid Ben Aziza), Alger et Rabat se sont récemment confrontés, à l’initiative de l’Université de Sassari, sur le thème « Une nouvelle génération méditerranéenne ».
Raimondo Zucca, délégué du Président de l’Université de Sassari, est intervenu au Campus Italia à Tunis, à la Cité des Sciences, au cours de la rencontre promue par UniMed, par l’Ambassade d’Italie et par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, pour la promotion du système universitaire italien. L’offre de formation des Universités italiennes a été présentée à cette occasion. Alessandro Furlan a donné une conférence sur « La restitution de l’ancien grâce à la réalité virtuelle : instruments de visualisation 3D pour stimuler la connaissance de notre patrimoine archéologique ». Le Président de l’Université de Sassari a stipulé une convention avec la SAIC et attribué une bourse au doctorat de recherche “Archéologie, histoire, sciences de l’homme” de l’Université de Sassari , bourse réservée à des étudiants maghrébins (XXXII cycle) (demandes parvenue trop tard). Deux étudiantes tunisiennes sont inscrites au doctorat “Archéologie, histoire, sciences de l’homme”, en cotutelle Sassari-Tunis : Myrian Ben Othman, de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales Tunis El Manar, La céramique de la cité génoise de Tabarka XVIe-XVIIIe siècle, directeur de thèse Adnan Louichi, ancien directeur de l’Institut National du Patrimoine, codirecteur Marco Milanese ; et Yahyaoui Mahbouba Tunisi Manouba, de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Les nouvelles technologies appliquées à l’étude et à la valorisation du complexe hydraulique romain de Zaghouan à Carthage, directeur de thèse Lotfi Naddari, codirecteur Raimondo Zucca.
Le programme des activités de l’Ecole sera mis à jour en tenant compte du financement des projets présentés aussi à l’Agence italienne pour la coopération et le développement (Urbs antiqua) dirigée par Laura Frigenti. Des perspectives concrètes de collaboration sont prévues pour 2018, « Année de la Méditerranée ». Urbs antiqua entend promouvoir le dialogue interculturel et les politiques de développement de la Tunisie à travers une intervention polyédrique e innovante à réaliser en synergie avec des acteurs publics et privés, italiens et tunisiens, dans le domaine du patrimoine archéologique. Elle se base sur une analyse des formes de collaboration déjà établies par l’Ecole avec les représentations diplomatiques et culturelles italiennes, avec des Universités et des Institutions de recherche, protection et valorisation du Patrimoine culturel ou encore avec des Organisme privés du Pays.
Parmi les objectifs à atteindre, citons : la reconnaissance des titres universitaires et des crédits attribués aux étudiants fréquentant les cours de formation ; la certification du niveau atteint ; le renforcement de rapports de collaboration permanents entre la SAIC et les Institutions tunisiennes ; la possibilité d’étendre ou de répéter ces expériences dans d’autres Pays du Maghreb. En outre, former des professionnels spécialisées dans le domaine des disciplines archéologiques et historiques et des antiquités, avec l’aide de professeurs tunisiens ; augmenter les synergies entre l’Italie et la Tunisie ; offrir des expertises aussi bien pour la Tunisie que pour d’autres Pays du Maghreb ; favoriser de nouveaux rapports de coopération scientifique, technologique et d’innovation.
Urbs antiqua se développe en quatre secteurs ayant chacun deux modules à mettre en œuvre en tenant compte des circonstances et des possibilités financières :
Documentation : Bibliothèque Moscati, exposition didactique itinérante ;
Formation : Cours de formation qui devra se tenir à Tunis au siège de la SAIC avec des professeurs italiens et tunisiens et bourses ;
Conservation : Activités programmées en accord avec les collègues tunisiens, à considérer comme un training on the job pour les jeunes participants ;
Valorisation : Systèmes didactiques formatifs : douze mois de préparation suivis de l’installation et de disponibilité permanente. Tourisme et valorisation intégrés : quinze mois de préparation, installation et disponibilité permanente.
Communication : Revue, Collection de monographies, participation à la Collection de l’AMVP.
Les normes adoptées ont recours aux méthodes de recherche les plus modernes dans le domaine historique et des antiquités, enrichies par les technologies appliquées au Biens culturels.
Le projet Urbs antiqua tend aussi vers une collaboration avec les membres de l’Association pour la Valorisation de l’Héritage Culturel opérant déjà en Tunisie sur initiative surtout de Monsieur Luciano Borin. Nous rechercherons une synergie entre les initiatives de la SAIC et de cette Association.
Le projet présenté par la SAIC à la Fondazione di Sardegna pour 2018 est intitulé Carthage. Activité de formation et promotion culturelle en Tunisie ; il propose un laboratoire de formation d’un groupe de jeunes tunisiens et italiens permettant à ceux-ci d’acquérir des techniques avancées de gestion, documentation et communication du patrimoine et des biens culturels, avec les expériences de Néapolis, Zama, Uchi Maius, Thignica, Carthage.
Notre intention est de présenter, pour 2019, un projet sur le Parc archéologique de Carthage, avec un cours GIS et un cours de dessin graphique de 90 heures pour 40 étudiants sur plateforme webinar. L’activité sera introduite par une série de leçons sur l’histoire et l’archéologie de Carthage tenues par des professeurs de la SAIC. Le Cours GIS et dessin archéologique se déroulera selon un programme entièrement personnalisé, en fonction des nécessités spécifiques du projet. Des exercices standard et des données fournies par l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle (données concernant le Parc archéologique de Carthage) seront utilisés de manière que les connaissances acquises deviennent immédiatement concrètes dans le domaine archéologique.
Monsieur Valentino Gasparini et la SAIC conduisent un projet de recherche LARNA, “Lived Ancient Religion in North Africa”, qui a obtenu une évaluation positive pour une bourse Marie Curie d’une durée de deux ans. L’European Association of Archaeologists a accueilli la proposition d’un panel sur les cultes en Afrique du Nord pour le 24ème Meeting annuel de Barcelone (5-8 septembre 2018). Les organisateurs du panel seront Valentino Gasparino (Université Carlos III de Madrid), Jaime Alvar Ezquerra et Attilio Mastino.
L’Ecole a versé 12000 euros, provenant d’une donation privée, à l’Université de Bologne (Département d’Histoire Cultures Civilisations – Section d’Histoire ancienne, dont la vice-directrice est la professeure Carla Salvaterra) pour une bourse sur l’Archéologie de l’Afrique du Nord.
Le premier volume de la série de monographies, contenant les actes de la rencontre qui s’était tenue à Tunis, à l’Istituto Italiano di Cultura, le 16 mars 2016 à l’occasion du premier anniversaire de l’attentat au Musée National du Bardo de Tunis, a été présenté exactement un an après.
Propositions pour les prochains volumes :
– Alessandro De Bonis, Doctorat Université La Sapienza de Rome, publication éventuelle dans la collections des monographies de la thèse de doctorat sur “Centri e territori amministrati da Cartagine nella Tunisia antica” [Centres et territoires administrés par Carthage dans la Tunisie ancienne].
– Fasti Sacerdotum, thèse de Gerardo Espino, élève de José Delgado Delgado de l’Université de La Laguna sur les Sacerdoti dell’Africa del Nord [Prêtres en Afrique du Nord].
– Publication de la thèse de doctorat de Monia Adili sur L’idraulica di Uchi Maius [L’hydraulique de Uchi Maius] mais seulement après évaluation.
– Ahmed Ferjaoui a demandé une contribution de la SAIC pour la coédition des Actes du VII Congresso internazionale di studi fenicio-punici di Tunisi [VIIème Congrès International d’études phénicio-puniques de Tunis] de 2009.
– Publication de la thèse de doctorat de Nicola Chiarenza sur les Edifici di culto e aree sacre in contesti punici e tardo punici della Sicilia [Edifices de culte et aires sacrées dans des contextes puniques et puniques tardifs de la Sicile].
– Zohra Cherif, Corpus des objets de toilette de la femme à l’époque punique d’après le matériel déposé au Musée de Carthage.
– Samir Aounallah, Attilio Mastino (ed.), Le iscrizioni latine di Thignica nel territorio di Cartagine [Les inscriptions latines de Thignica sur le territoire de Carthage].
– Mohammed Abid, Inscriptions latines de la Tunisie, II.
Nous avons en outre publié l’ouvrage “Je suis Bardo”, présenté à Tunis le 18 mars 2016, à l’initiative du Ministère des Affaire Etrangères et de la Coopération internationale et de l’Ambassade d’Italie, et le volume grand format Carthage, maîtresse de la Méditerranée, capitale de l’Afrique (Histoire & Monuments, 1), (IXe siècle av. J.-C. – XIIIe siècle). AMVPPC, SAIC Sassari, Tunis 2018, S. AOUNALLAH, A. MASTINO (dir.).
Parmi les expositions, sous la direction de Angela Ciancio e Filli Rossi, citons “Annibale. Un viaggio” [Hannibal. Un voyage] (Château de Barletta, dans la région des Pouilles, du 2 août 2016 au 22 janvier 2017), en collaboration avec la SAIC.
Sur proposition de Giovanna De Sensi Sestito, membre de la SAIC, l’Ecole a parrainé la “Mostra Annibale. La fine di un viaggio” [Exposition Hannibal. La fin d’un voyage] (Crotone, Musée Archéologique de Capo Colonna, de novembre 2017 à mars 2018).
L’Ecole a suivi le renouvellement des accords avec l’INP pour les fouilles archéologiques en Tunisie. Elle a assuré la coordination des différentes activités archéologiques en cours maintenant à Thignica (Aïn Tounga), en vue de l’édition d’environ 500 inscriptions latines, sous la direction de Samir Aounallah (de l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine) et d’Attilio Mastino, en vertu de la convention signée par le Président de l’Université de Sassari Massimo Carpinelli et par le Directeur Général de l’Institut National du Patrimoine Faouzi Mahfoudh (19 mai 2017).
Les activités se sont déroulées ces mois derniers avec les élèves de l’Ecole de Spécialisation en archéologie d’Oristano ((Ernesto Amedeo Insinna, Davide Antonio Fiori, Alessandro Madau, Annalucia Corona, Donatella Bilardi), Salvatore Ganga, Antonio Corda, Antonio Ibba, Paola Ruggeri. En outre, à Althiburos (Macerata, Gilberto Montali) et Carthage (Université de la Calabre, Giovanni Di Stefano). Des spécialistes des Universités italiennes ont poursuivi leur recherches en Tunisie : travaux à Bizerte (Anna De Palmas, Betta Garau) ; fouilles sous-marines à Nabeul (Mounir Fantar, Pier Giorgio Spanu, Raimondo Zucca). Enfin à Sidi Mechreg – Gouvernorat de Bizerte, Marco Milanese a entamé la collaboration sur les phases islamico/ottomanes du site avec Sebatiano Tusa (Direction générale de la Mer – Région Sicile) et avec Ouafa Ben Slimane de l’INP. Dans le cadre de la convention stipulée entre l’INP et l’Université Kore d’Enna, Francesco Tommasello a conduit avec Mounir Fantar, dans le port de Carthage, la première campagne de reconnaissance relative au projet de recherche cofinancé par le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale. Ont participé à la campagne : Faouzi Ghozzi (INP), Rossana De Simone (Università Kore d’Enna), Carla Del Vais (Université de Cagliari), Gilberto Montal (Université de Macerata). Le projet de recherche prévoit l’étude des bâtiments présentant des signes de carrières puniques. Uthina-Oudna (Cagliari) : le projet coordonné par Antonio Corda prévoit l’achèvement de l’édition des données concernant les activités précédentes, l’augmentation de la zone de fouilles, la réalisation du corpus complet du patrimoine épigraphique urbain (édition, documentation graphique CAD et WebGis), l’étude des mosaïques en vue de la réalisation d’un corpus et l’étude d’une stratégie de consolidation de celles-ci, la constitution d’un groupe promoteur international pour la réalisation du Parc archéologique d’Uthina. L’Université de Macerata avec Gilberto Montali et Nabil Kallala ont poursuivi les recherches dans le théâtre d’Althiburos.
Nous avons appliqué en Tunisie des techniques innovantes : à Uchi Maius à partir de 2015, à Carthage aux Thermes d’Antonin à partir de 2016, et à Thignica pour la révision du riche patrimoine épigraphiques au cours de la première décade d’octobre 2017, avec l’utilisation systématique de nouvelles techniques de photogrammétrie numérique.
Les mots de l’architecte français du XIXème siècle Eugène Viollet-le-Duc (« Je tâche donc de rassembler le plus possible de l’antiquité et de les copier, de les étudier sans jamais mettre du mien ») et ceux de l’italien Roberto Longhi, grand historien de l’art (« Chi si distacca dall’oggetto si distacca dalla verità » [Celui qui s’éloigne de l’objet s’éloigne de la vérité]) nous rappelle que l’objectivité, l’exhaustivité et la correction de la représentation sont à la base de la documentation des Biens Culturels. Les nouvelles technologies nous offrent aujourd’hui les instruments numériques nécessaires pour des relevés, même tridimensionnels de grande précision géométrique, à des coûts contenus et avec un rendu photoréaliste, ce qui était impensable il y a quelques années encore. Grâce aux techniques dont nous disposons pour le relevé 3D, nous pouvons documenter et représenter sous format numérique des produits manufacturés, des monuments, des architectures même complexes, des sites complets caractérisés par une grande précision géométrique et avec un rendu réaliste.
Grâce à la capacité de calcul de plus en plus importante des ordinateurs et au développement des capteurs, nous pouvons emmagasiner d’énormes quantités de données spatiales à partir desquelles nous pouvons accéder facilement à des informations métriques tridimensionnelles. Le relevé d’architecture et le relevé archéologique, plus spécifique, qui étaient conduits surtout de façon directe, peuvent à présent bénéficier des possibilités offertes par les méthodes de relevé indirect, donc sans contact avec l’objet. La photogrammétrie automatique ou le balayage laser nous permettent d’obtenir des modèles 3D soignés et précis.
La réduction du poids et des dimensions des capteurs digitaux permet leur installation à bord d’aéronefs sans-pilote, les RPAS, appelés plus communément drones. Il existe plusieurs types de capteurs pouvant être montés à bord : appareils numériques pour photos aériennes et photogrammétrie, utilisés dans le domaine du visible ou de l’infrarouge, et même des scanners laser légers.
Nous pouvons, avec les drones, acquérir des images nadirales ou panoramiques de bonne qualité et à un prix contenu. Les aéronefs sans-pilote sont dotés de récepteurs GPS qui leur permettent de savoir avec assez de précision et en temps réel leur position dans l’espace. Il est donc possible de planifier la route et de la garder pendant le vol en contrôlant l’altitude et l’intervalle entre chaque photogramme. Par conséquent, les photographies réalisées à basse altitude sur ces plates-formes se prêtent très bien à des applications photogrammétriques telles que la documentation des essais de fouilles, le levé des sites archéologiques, le levé des monuments, la réalisation de modèles numériques du terrain de sites entiers.
Nous pouvons classer en deux catégories les techniques utilisées pour le relevé: à contact, quand l’instrument utilisé prend des mesures de façon directe ; sans contact quand on opère de façon indirecte.
Les systèmes de relevé appartenant à cette seconde famille fonctionnent en exploitant principalement la lumière. Il se basent sur des capteurs actifs (range based) ou sur des capteurs passifs (image based). Les instruments range-based émettent un signal électromagnétique qui, après avoir été opportunément enregistré et élaboré, fournit une mesure de distance (range, précisément). Le scanner laser est un exemple classique de ces instruments.
Nous avons longuement expérimenté cet instrument en Italie (voir le projet « Nuove tecnologie applicate alla ricerca epigrafica: rilievo e restituzione grafica, analisi testuale e prosopografica di una serie significativa di iscrizioni » [Nouvelles technologies appliquées à la recherche épigraphique : relevé et restitution graphique, analyse textuelle et prosopographique d’une série importante d’inscriptions]) et nous comptons le faire prochainement en Tunisie. Le scanner laser utilisé (produit au Canada par la Creaform, modèle “Handyscan Revscan”) est un instrument conventionnellement dit de “troisième génération”, directement utilisable à main levée sans devoir le bloquer pendant la numérisation. Cette caractéristique est extrêmement importante dans le relevé épigraphique. L’instrument est léger et peut être facilement orienté pour suivre et explorer la surface des inscriptions sans qu’il n’entre en contact avec l’objet. C’est un scanner de type « à triangulation » constitué d’un émetteur de lumière et d’un capteur à plat étroitement bloqués entre eux. La source de lumière, le point projeté sur la surface de l’objet et le point photographié par la caméra numérique constituent un triangle : d’où le nom attribué à cette familles d’instruments.
L’instrument opère en projetant deux faisceaux croisés de lumière laser qui se déforment en entrant en contact avec la surface de l’objet. Ces lignes sont décomposées en points dont l’instrument, au rythme de 18.000 mesures par seconde, calcule les coordonnées spatiales. Le résultat obtenu est un nuage de points dont la densité est fonction de la valeur de la résolution voulue (la meilleure résolution que l’on peut obtenir avec cet instrument est de 0,2 millimètres). Le système comprend une puissante workstation qui, grâce au logiciel propriétaire “VxElements”, produit en temps réel un rendu de la surface pendant sa numérisation. L’opérateur peut ainsi suivre la progression de la numérisation et faire en sorte qu’aucune zone ne reste inexplorée. Le logiciel n’intervient pas par des interpolations arbitraires et ne remplit pas automatiquement les zones non photographiées. Puisque l’instrument n’est pas bloqué de façon stable et que sa position par rapport à l’objet à relever varie sans cesse, comment peut-il mesurer correctement les distances? L’Handyscan 3D peut s’orienter dans l’espace grâce à un modèle de positionnement instantané constitué d’une combinaison d’objectifs réfléchissants, ou targets, appliqués de façon stable sur l’objet ou tout près de celui-ci. Grâce à la vision stéréoscopique assurée par ses deux caméras, le scanner exécute une triangulation continue en utilisant chaque fois trois targets au moins comme point de repère.
Le résultat de la numérisation est un modèle 3D qui peut être visualisé de plusieurs façons : soit comme un nuage de points, soit comme un maillage (mesh) polygonal soit comme une surface interpolée.
A la différence d’un levé manuel, qui est obligatoirement une sélection des éléments que l’on retient importants et qui dépend fortement de l’habilité du dessinateur, la numérisation laser recueille une quantité de données incroyables. Le résultat est une représentation tridimensionnelle objective et complète qui peut être observée en la tournant à volonté dans l’espace, interrogée pour en tirer des informations métriques, éclairée virtuellement par des faisceaux de lumière rasante pour faciliter sa lecture. Le spécialiste a l’avantage de ne pas devoir se rendre à nouveau sur le lieu de conservation pour des recherches ultérieures, ce qui est aussi un avantage pour l’objet qui ainsi ne devra pas être soumis à des manipulations ultérieures.
Au contraire, pour les techniques image-based, comme la photogrammétrie, les informations tridimensionnelles des objets à relever sont données par une série d’images acquises selon des points de vue différents. Jusqu’à une date récente, cette technique était réservée aux spécialistes à cause de son coût élevé. Les développements récents de l’informatique ainsi que l’augmentation extraordinaire des capacités d’élaboration des machines ont automatisé de nombreuses procédures. Parmi les développement récents de la Vision par ordinateur, une évolution appelée Structure from motion permet de mettre automatiquement en corrélation les points des images rendant ainsi possible la restitution en 3D même de formes articulées et complexes. La précision obtenue est comparable à celle que l’on peut obtenir avec le scanner laser. La Structure from motion part d’un set de clichés de l’objet à relever, réalisés dans ce but, et reconnaît des points clés (features) dans trois images au moins afin de pouvoir les relier entre elles. Cette opération est appelée image matching. Par un procédé de triangulation à étoiles projectives, on calcule les coordonnées des points de prise de chaque image (ce que l’on appelle orientation extérieure) et celles des points clés qui constituent ainsi un premier nuage de points à densité faible, la sparse points cloud. Dans le passage suivant, les points du nuage à densité faible sont utilisés par le logiciel pour calculer, toujours de façon automatique, les coordonnées spatiales du nuage de points à haute densité (dense points cloud) selon la valeur de la résolution voulue. Cette valeur influence considérablement le temps d’élaboration. Le nuage de points dense n’est pas encore un solide ; celui-ci n’est obtenu qu’en créant le mesh polygonal, c’est-à-dire le maillage de points et de sommets pour constituer les faces triangulaires qui définissent la forme de l’objet polyédrique. Le maillage polygonal est à la base des procédés de visualisation informatisée des formes modelées. Il s’agit toutefois d’une approximation des surfaces réelles continues : le modèle 3D correspondra mieux à la géométrie réelle des objets si le nuage de points est dense. La couleur provenant des pixels des photos utilisées peut être transférée aux sommets et aux faces du maillage.
Pour un rendu absolument photoréaliste du modèle 3D, il est possible, comme dernier passage, d’appliquer au maillage la texture (texture) provenant des pixels des photographies.
En 2015, nous avons commencé à expérimenter sur le terrain des techniques de modélisation 3D en réalisant les modèles de quelques inscriptions de Uchi Maius : la base de la statue équestre de Septime Sévère, la base dédiée à Lucilla Augusta et la petite stèle de Manlius.
L’expérimentation a continué en 2016 sur le site des Thermes d’Antonin à Carthage. Des modèles 3D du fragment de grandes dimensions de la frise d’une architrave richement décorée et de la corniche avec corbeaux appartenant au même monument ont été réalisés.
Les deux éléments architecturaux sont exposés au public au centre de la zone des locaux de service situés au-dessous du frigidarium, dont il proviennent.
Pour les prises de vues du haut, nous avons dû utiliser une perche télescopique et un dispositif permettant le déclenchement automatique à distance de l’appareil photo. Cent soixante trois photographies ont été nécessaires pour documenter le grand bloc avec inscriptions. Un nuage de points dense constitué d’environ 6.500.000 points a été tiré de ces photos ; le résultat est un maillage de 1.272.000 faces.
Le modèle texturé a servi pour la restitution graphique en format entièrement vectoriel.
Après avoir mis les modèles 3D à l’échelle, nous pouvons très facilement en extraire des informations métriques même de détail, comme la hauteur des lettres, l’interligne etc.
Toujours sur le site des thermes d’Antonin, nous avons réalisé le modèle 3D de l’inscription fragmentaire qui rappelle la fin des travaux des thermes, en 158, à l’initiative d’Antonin le Pieux et Marc Aurèle César. Les fragments de l’inscription sont actuellement recomposés en deux groupes séparés, murés sur une paroi des locaux de services des thermes. A l’époque, les fragments n’étaient pas juxtaposables aux autres. Une hypothèse différente de reconstruction– complètement innovante – a été avancée pour le Congrès de Borghesi 2017, avec une recomposition différente des 14 fragments. Pour pouvoir vérifier si cette nouvelle hypothèse est exacte, nous avons réalisé (dans le Fab Lab de l’Université de Sassari) une impression 3D à échelle réduite des fragments concernés ; nous avons ainsi pu manipuler librement chaque élément et examiner la possibilité de les juxtaposer.
La possibilité de réaliser des films d’objets ou de monuments par un procédé entièrement numérique est l’une des potentialités parmi les plus intéressantes offertes par les modèles 3D, surtout dans un but de divulgation. Nous avons, pour cela, utilisé le logiciel open source Blender et obtenu de brefs films des inscriptions. Ces films sont très efficaces surtout dans le cas d’inscriptions opisthographes, comme le grand bloc des thermes de Carthage ou comme la stèle de Manlius qui présente des motifs intéressants sur les quatre côtés. Le résultat est encore plus décisif dans le cas des bornes milliaires qui portent normalement des inscriptions sur une grande partie de leur surface cylindrique. Une seule photographie ne pourra jamais rendre l’idée de la totalité de l’inscription. Ce que l’on peut au contraire facilement obtenir à partir d’un modèle 3D de la borne milliaire, mis en rotation ou bien, mieux encore en offrant la possibilité de l’explorer et de le manipuler librement. Tout comme il est possible de développer la surface cylindrique en “déroulant” l’apographe pour permettre la vision complète de l’inscription, il est aussi possible “d’aplanir” par la numérisation la surface cylindrique du modèle 3D. Cette technique a été mise en pratique pour la première fois sur une borne milliaire de Pupput.
La Reflectance Transformation Imaging (RTI) promet de donner de bons résultats pour la documentation des Biens Culturels et notamment pour l’épigraphie. La RTI est une méthode de photographie informatisée mise au point par les chercheurs du laboratoire Hewlett Packard en 2001. Les photographies de l’objet sont prises à partir d’un seul point de vue sous un éclairage artificiel provenant de directions différentes et sous des angles différents. Les images présentent naturellement des ombres différentes. Deux sphères noires à surface polie, placées tout près de l’objet à documenter, réfléchissent la lumière. Elles servent à indiquer avec précision au logiciel d’où provient l’éclairage, direction variable pour chaque photographie. Les images ne sont qu’apparemment bidimensionnelles. Au contraire, elles contiennent des renseignements sur la réflectance dérivant de la forme de la surface et de la réponse d’un même point à la lumière, réponse qui variera en fonction de la direction de celle-ci. Un logiciel de visualisation (RTI viewer) permet de reproduire sur l’écran la lumière incidente en variant à souhait sa direction. Le rendu varie en temps réel mettant ainsi en évidence les plus infimes détails, invisibles à l’exploration directe. Si, quelque raison que ce soit, on ne peut appliquer directement cette technique, on a recours à la Virtual Polynomial Texture Mapping (V-PTM). Nous avons expérimenté cette variante en l’appliquant à l’étude de l’inscription de Neptune Auguste à Thignica en utilisant le logiciel de modélisation tridimensionnelle Blender. Le procédé consiste essentiellement à remplacer l’objet réel par un modèle 3D en répliquant tout le processus d’acquisition des images dans les conditions d’éclairage requises. La simulation comprend la mise en place virtuelle des sources de lumière, qui interagissent avec le modèle ayant les mêmes propriétés physiques que l’objet, et l’obtention d’images par une caméra virtuelle. Les instantanés (snapshot) obtenus sont traités comme les photographies réelles. Le seul inconvénient est le temps d’élaboration des rendus qui est beaucoup plus long que celui des photographies réelles. La possibilité de varier sur l’écran, grâce au visualiseur, la direction de la lumière incidente est précieuse pendant la réalisation du dessin (de type vectoriel) faite directement sur le modèle comme s’il s’agissait de l’objet physique. Pour le rendu graphique de l’inscription de Neptune Auguste, nous avons utilisé simultanément deux écrans différents. Sur l’écran principal, le dessin est le résultat d’une élaboration appelée “specular enhancement” qui amplifie considérablement la profondeur des incisions, alors que sur l’écran secondaire des élaborations alternatives pouvaient être visualisées avec la possibilité de varier en temps réel la direction de la lumière rasante afin de mieux mettre en évidence les détails à dessiner.
Nous souhaitons créer, dans les années à venir, une banque de données ouverte, accessible librement et pouvant être mise à jour, contenant les fiches analytiques des inscriptions sous format électroniques, rédigées en respectant les paramètres modernes de la science épigraphique. La mise en fiche part de la fiche du programme SIGEC du Ministère italien des Biens et Activités Culturels, grâce auquel nous mettrons à jour les fiches du catalogue des pièces archéologiques (RA, niveau catalogue). Les données recueillies seront élaborées dans le respect des critères d’homogénéité exprimés par l’Association Internationale d’Epigraphie Grecque et Latine et sont compatibles, au cas où l’on voudrait les déplacer, avec les données présentes dans d’autres banques de données consacrées à l’épigraphie (EDR-EAGLE ou bien PETRAE). Les renseignements contenus dans les fiches pourront donc converger vers d’autres bases de données épigraphiques nationales ou internationales ou être utilisées pour la mise à jour des fiches produites et la création de nouvelles fiches pour le catalogue du patrimoine épigraphique, après avoir attribué les codes univoques du SIGEC. Dans le domaine de la promotion du patrimoine archéologique de la Tunisie, la documentation pourra être divulguée gratuitement et rendue disponible non seulement pour les spécialistes du secteur mais aussi pour les Institutions, INP et AMVP qui conservent les inscriptions.
Les reproductions virtuelles réalisées pourront avoir de nombreux secteurs d’application aussi bien dans le domaine scientifique, pour lequel elles représentent une aide pour approfondir des thèmes historiques et épigraphiques particuliers, que dans les musées où elles pourront entrer dans des parcours didactiques, voire interactifs, ou être utilisées pour la création, par imprimante 3D ou tout autre technologie moderne de modélisation tridimensionnelle, de copies physiques des pièces archéologiques. La copie virtuelle représente en outre un outil de conservation de la mémoire du passé et de divulgation et connaissance des biens culturels, non seulement pour les spécialistes du secteur mais aussi pour les non experts. L’expérimentation du scanner laser portable dans le domaine de l’épigraphie en Tunisie aura un résultat pleinement positif et servira à renforcer une nouvelle technique de levé efficace et innovante. Nous pourrons non seulement approfondir l’étude des caractéristiques extrinsèques (support, matériel, exécution, décoration, paléographie, signes de ponctuation) des documents épigraphiques examinés mais aussi leurs caractéristiques intrinsèques (langue, grammaire, prosodie et métrique, onomastique et prosopographie) ; nous pourrons enrichir nos connaissances sur le monde ancien et sur les différents aspects l’histoire de l’Afrique romaine. En effet, l’apport des inscriptions est absolument indispensable pour la connaissance historique de la province qui dispose de sources historiques littéraires. Les sources archéologiques ajoutées aux sources épigraphiques nous fournissent des renseignements précieux pour la reconstruction des dynamiques politiques, institutionnelles, culturelles, sociales, économiques de l’Afrique pendant la période romaine et pour leur comparaison avec les autres provinces de la Méditerranée, pour une analyse des rapports entre le caput provinciae Karthago et le reste de la Province, pour l’étude des influences du substrat berbère et de la persistance de la culture romaine dans le monde byzantin, pour la détermination des ateliers lapidaires régionaux, et pour connaître leur diffusion, leur spécialisation et leur chronologie.
Les reproduction 3D pourront être utilisées par les Institutions tunisiennes afin d’aider la divulgation et la connaissance des biens culturels non seulement parmi les spécialistes du secteur mais aussi parmi les non experts, puisque ce sont des documents scientifiquement inattaquables et didactiquement attrayants et modernes.